dagblind  -  °2008

Dayblind

On Paul D’Haese’s photographs


What we see of things are the things.
Why would we see one thing when another is there?
Why would seeing and hearing be to delude ourselves
When seeing and hearing are seeing and hearing?

The essential is knowing to see,
To know seeing without thinking,
To know seeing when seeing
And not think when seeing
Nor see when thinking. […]

Fernando Pessoa, Poesia Heterónima, 1914


A face with eyes closed – is it like a blind wall? A windowless wall, a blank portrait. The rare (family) portraits that Paul D’Haese has made so far do not look back, not because they are unable or unwilling to do so – they are not asleep or blind – but because they have been asked to close their eyes. The photographer himself requested it. Perhaps because he realises that pictures with eyes closed are confusing, alienating, and because he has some share in that uneasiness. Like the Greek philosopher Democritus, who is said to have put out his eyes in order to arrive at a better insight. Maybe.
But Paul D’Haese is certainly at one with the way in which Dirk Lauwaert reads pictures with eyes closed. They work very differently, he writes, but it is because closing the eyes is immediately linked to the gaze of the camera. ‘It is the impossibility or unwillingness to place ourselves in that gaze that moves and confuses us.’ The picture with eyes closed makes the viewer confront a face that offers no rules, does not engage in any dialogue, but turns itself away. And that image, according to Dirk Lauwaert, turns out to imply a critique of the act of viewing itself. Reality is invisible. Photography only shows appearances. You are nightblind when you lose all sense of shape and direction in the dark. Are these photos dayblind?

At the same time, these few idiosyncratic portraits display the same kind of systematic approach that we find in the photographs of landscapes and architecture that constitute most of his oeuvre. Paul D’Haese does not take photos at random.
His photographic project moves in the same direction as in what he does for a living – interior architecture – in which he has deliberately opted for simplicity, austerity, minimalism. He is partly searching for the conceptual and above all visual clarity of the Bechers and their followers, he has learnt a good deal from the open landscapes, the feeling for the totality and the detail of a John Davies, among others, or has eagerly embraced the odes to banality of a Stephen Shore and Dirk Braeckman’s tactile reworkings of apparently ugly sites. Without being fixated on a particular idiom or motif.

So he shows us – almost always in a razor-sharp black-and-white unison – the smooth remains of a bunker rising monumentally from the sea like a prehistoric relic, for instance, beside a sad duet for illegal dumping and brick walls (even though a young tree emerges from behind the most pockmarked stone construction in defiance of death). Or: a minimal art installation that on closer inspection turns out to be a functional cloakroom, beside a convincing abstraction, composed with a reflecting wall of graffiti and the ruined carpet of the Brussels metro. Or: a seascape with a panoramic Raoul De Keyser sky and a narrow strip of water on which artificial ducks unconcernedly bob towards the horizon, beside the toned down colour photo of a half-painted room with laconic sculpture trouvée.

All those photos, including the portraits, are given a well-nigh classical less-is-more effect by Paul d’Haese. They are conventional in the positive sense of the word. To put it differently, they have incorporated a number of both technical and formal parameters offered by the history of photography to produce simultaneously clear and confusing images. It goes without saying, but is not obvious.
Without raucous effects or manifest visual interventions, understated and straight, Paul D’Haese represents fragments of the world in which he moves with increasing accuracy. A strictly delimited universe. Dayblind. But every interesting photographer has to be blind in that sense. In fact, as the mathematician, psychotherapist and poet Georges Spencer-Brown said in 1969: ‘Existence is a selective blindness’.

Erik Eelbode (†)
23 March 2008

Selected bibliography

  • Peter Bexte: Blinde Seher. Die Wahrnehmung von Wahrnehmung in der Kunst der 17.Jahrhunderts, Verlag der Kunst, Dresden, 1999.

  • Moshe Barash: Blindness. The History of a Mental Image in Western Thought, Routledge, London, 2001.

  • José Saramago: Blindness: a novel, Harvill, London, 1997.

  • Dirk Lauwaert: Artikels, De Gelaarsde Kat, Yves Gevaert Uitgever, Brussels, 1996.

  • Dirk Lauwaert: Lichtpapier. Teksten over fotografie, Bibliotheek van de Fotografie 3, FotoMuseum Antwerpen, Nederlands Fotomuseum, 2007.

  • Robert Adams: Why People Photograph, Aperture, New York, 1994.

Essai par Carl Havelange (ULg), historien

Faut-il parler de désolation ou de retenue à propos de ces mondes dépeuplés et deces visages aux yeux clos – sauf un oeil aveugle, peut-être, ouvert sur la blancheur de la nuit? Faut-il parler d’intériorité? N’existe pas. Faut-il parler de la mémoire et de l’expérience du regard? Faut-il parler? Ou plutôt se taire? C’est toujours la même chose avec les images. Est-il opportun de poser certaines questions? Celle-ci, peut-être. Qu’est-ce qu’un paysage? Une extériorité qui se retourne comme un gant. Unvisage? A peu près la même chose. Qu’est-ce qu’une image? Une promesse de silence. Qui peut savoir où il est? D’où il vient? L’art? N’existe pas : le mouvement d’une flèche et sa cible indéterminée. Une armoire de cuisine semble tenir en équilibreau sommet d’une échelle posée contre un mur. Est-ce que voir c’est gagner ou bien perdre? Les mots, les yeux, la peau. Rien d’autre. Heureusement. Malheureusement. Des visages familiers, tendres, hésitants, maladroits. Comme des souvenirs. Ils ont les yeux fermés. La mémoire est-elle la matière première de l’oubli? Attendre, attendre, attendre. Perdre : il en restera toujours trop. Le vide est-il une direction du regard? Ne rien dire est-il une garantie d’intelligence? La mer du Nord est échouée. Il n’y a que du blanc. De la lumière. Morte. Lieux de mémoire. Le ciel est bleu, c’est-à-dire gris, où traînent quelques lambeaux de nuages. Plus rien à voir. Ne pas rire. Attendre. Emonder le visible, le racler jusqu’à la corde. Voir, enfin. Peut-être. Ou fermer les yeux. Que voit-on lorsque l’on ferme les yeux? Un appareillage de béton s’incruste dans la mer. N’existe pas. Seulement dans la tête. Nos yeux sont des cannes qui tapent sur le sol, dans la nuit. Les mots sont des yeux qui s’aveuglent. Et ces lignes, pourtant, qui tombent dans les yeux comme des fils à plomb ! Voir encore, voir malgré tout. Les portes d’une cave tournent sur elles-mêmes. N’existent pas. Et broient du blanc qui bat dans les yeux. Ouvrir les yeux, fermer les yeux, penser. Ne pas penser. Voir. Surtout ne pas penser. Attendre. Tenir. Résister. Ne pas permettre à l’inquiétude d’emporter le morceau. Fermer les yeux. Se taire. Chaque image est une victoire. Chaque victoire est une défaite. Montrer l’étendue du désastre. La métaphysique? Une vue de l’esprit. Eclater de rire. Un mur de briques contre un mur de briques. Une villa abandonnée. Les volets sont baissés. Blanc sur blanc. Où jouent magnifiquement la lumière et les ombres. C’est notre enfance, flamande. Ou visiteur, wallon. Tout est perdu. La mer est un sortilège. L’horizon? Une illusion d’optique. L’oubli est-il la matière première de la mémoire? Tout est blanc, sauf un rideau noir, qui tombe dieu sait où, l’envers du décor, ses reflets, ses plis, ses velours, ses moirages, ses secrets. J’ai peur. Bruxelles? N’existe pas. A la honte, je voudrais substituer la confiance et à l’orgueil, l’accueil. Mais il est trop tard. Tout est perdu. La mort est devant soi. Je me souviens des cabanes sur la plage, des haies, des massifs, des canards et des bancs. Je me souviens de tout. Il n’y a plus personne. Il n’y a plus que des lignes, douloureuses et solitaires, des lignes de lumière qui traversent les yeux comme des lames. Que voit-on à l’intérieur de soi? Tout est perdu. La géométrie est la morale du désespoir. La géométrie, la morale, le désespoir : n’existent pas. Les quais sont désertés, les trains ne passent plus, l’escalator ne conduit nulle part. Monter. Descendre. Partir. Revenir. Suivre la direction de la lumière. Trouver des signes. Blanc sur blanc. Eblouissement. Fermer les yeux. Ouvrir les yeux. Progresser vers le pire. Etre aveugle et donc voyant, enfin.